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Comment est née l’idée de Cowboy Angels ?
Cowboy Angels est l’aboutissement de plusieurs expériences.
J’avais travaillé à deux reprises sur des courts
métrages avec des jeunes en difficulté et placés
en foyer de réinsertion. Plusieurs d’entre eux avaient
un père absent et une mère qui les avait abandonnés
pour une période allant de quelques jours à plusieurs
mois. Etant moi-même mère depuis peu, j’avais été profondément
troublée. Ces jeunes en survie, sous leur dureté apparente,
avaient une fragilité bouleversante. Ils avaient surtout
une honnêteté par rapport à la difficulté de
vivre qui les rendait à mes yeux très courageux et
beaux. Des anges, quoi ! J’avais envie de montrer cela.
Par ailleurs je voulais produire moi-même mon film, de façon
totalement indépendante. Ceci sans doute en réaction à mon
premier projet de long métrage qui, pour des raisons financières,
n’a pas vu le jour : un road movie mêlant des
Français et des Américains en territoire indien américain,
avec Luc Besson et Wim Wenders comme producteurs et Ed Harris dans
le rôle principal.
On est habitués aux archétypes d’enfants un peu butés face à des adultes qui essaient d’établir le contact, et là c’est le contraire.
Pour moi le thème ici est l’impossibilité qu’a
l’adulte de communiquer. Il n’a plus accès à ses
sentiments, il ne sait plus les exprimer, il a en quelque sorte ‘désappris’.
Et l’enfant, par sa persévérance, va réussir à tailler
une brèche dans sa carapace. L’enfant permet à l’adulte
de se retrouver, il est son miroir, son ‘Blessing in Disguise’,
son cadeau déguisé.
Vous avez choisi de travailler avec votre fils, donc en famille, et avec des acteurs peu connus – des vraies gueules, des vraies présences. Est-ce une posture de ne pas aller vers des acteurs plus connus ?
Pas du tout. J’ai l’habitude de travailler avec
des acteurs et j’adore cela, mais je ne suis pas rassurée
par leur notoriété. Les stars rassurent juste les
producteurs. C’était surtout pour moi un privilège
de ne pas être dans le système, de produire moi-même
le film et donc de pouvoir travailler avec les acteurs de mon
choix. Ils étaient tous très impliqués dans
le film et l’ont porté avec moi. L’autre chose
importante, c’est que l’enfant avec qui j’ai
tourné et qui est mon fils allait très vite devenir
un préadolescent. C’était vraiment l’histoire
de quelques mois. Et je ne voulais pas me retrouver à m’arracher
les cheveux en faisant un casting d’enfants dans toute
la France alors que j’avais l’enfant idéal à la
maison. J’ai donc écrit le rôle à sa
mesure. Il m’importait surtout de faire ce film et non
de le rêver. Wim Wenders et Jim Jarmush ont été les
premiers à m’encourager à foncer.
Le personnage de Pablo parle comme un petit gangster des premiers Truffaut…
Je voulais que ce soit ce petit môme bizarre élevé par
les différents amants de sa mère, nourri d’influences
totalement datées comme son obsession de la coiffure d’Elvis
(sa banane), sa passion des cowboys et les chansons à la
Bob Dylan. Aucun gamin d’aujourd’hui n’a ces
références-là.
Le titre du film est-il une référence à la chanson «The Gates of Eden» de Bob Dylan, qui mentionne les ‘Cowboy Angels’ ?
Oui, le film regorge de références à Bob
Dylan. Je m’en suis inspirée pour écrire
Blessing in Disguise qui est le fil rouge du film. Laurent Petitgand,
avec qui je collabore depuis longtemps, en a composé la
musique. C’est Elliott Murphy, un autre Américain à Paris,
collaborateur de Bruce Springsteen, qui l’interprète
en anglais pour la scène de la plage.
Comment avez-vous choisi et dirigé vos comédiens ?
J’avais déjà travaillé avec Thierry
Levaret, il y a plusieurs années de cela, dans un workshop
de théâtre où j’avais trouvé son
jeu extraordinaire. Nous avions développé ensemble
un personnage qui était déjà très
proche du personnage de Louis. Quant à Noëlie Giraud,
je l’ai vue pour la première fois dans un bar où elle
faisait un one woman show, jouant pendant plus d’une heure
entre la salle, les clients et le comptoir. C’était
très impressionnant, j’étais subjuguée
par sa présence et sa beauté. En ce qui concerne
Pablo, comme je l’ai déjà dit, le choix s’est
fait très naturellement de faire tourner mon fils. Il évoluait
sous mes yeux du haut de ses onze ans et incarnait déjà tout
ce que je voulais faire exister dans ce personnage. Cela nous
a pris étonnamment peu de temps pour trouver nos marques,
et le tournage a été une aventure pour lui, comme
pour moi. Nous avons tourné dans la chronologie, ce qui à mon
avis est indispensable lorsqu’on travaille avec un enfant,
et ceci a énormément contribué à la
justesse de la relation entre Pablo et Louis qui évolue
dans le temps. Pour ce qui est des autres acteurs, j’avais
eu la chance de travailler avec la plupart d’entre eux
dans le passé, et ils se sont glissés dans le film
avec un naturel confondant.
Vous êtes américaine et comme vous avez grandi en France, vous avez aussi une culture française. On sent dans le film cette impossibilité de choisir entre les deux cultures et il y a comme un ‘style franco-américain’.
Je suis profondément ce mélange des deux cultures.
C’était beaucoup plus ‘tiraillant’ quand
j’étais petite parce que j’avais l’impression
qu’il fallait choisir entre les deux pays, mais il est
clair que ce mélange me constitue. Je parle en anglais à mes
enfants qui me répondent en français, j’ai
une partie de ma famille et mes amis là-bas, l’autre
ici où je vis maintenant… les valeurs des deux
pays sont en moi. Ce mélange de spontanéité américaine
avec une réflexion plus française. J’ai plutôt
passé ma vie à être un ‘pont’ entre
les deux pays, à tout faire pour que mes amis de chaque
côté de l’océan puissent communiquer.
Maintenant j’ai le sentiment que cela va se faire naturellement,
par mes films.
Ce film est un road movie, pourquoi ce choix ?
J’adore les road movies et la quête initiatique
de leurs personnages. J’aime voir les héros se transformer
imperceptiblement sous mes yeux pour devenir autre. Il y a d’abord
eu les classiques américains dont je me délectais
petite, comme ceux de Ford ou Capra, mais les road movies qui
m’ont vraiment marquée sont plutôt des films
comme Easy Rider ou les road movies de Wenders, eux-mêmes
souvent des hommages au cinéma américain, mais
avec un regard ‘d’outsider‘.
Le ton du film oscille constamment entre deux humeurs, à la fois dramatique et joyeuse. On retrouve ce mélange tout au long du film, et ce jusqu’à la fin.
On est à la fois dans un univers réaliste, souvent
sombre, mais que je voulais porteur d’espoir parce que
les deux personnages se mettent enfin à communiquer et
que dans cette communication il y a la vie. Le lien qui les unit
va prendre plus d’importance que les circonstances qui
les accablent. Au final, ils repartent tous deux vers leur vie,
mais ils ne sont plus les mêmes. Ils ont enfin ce ‘pote’,
cette personne pour qui on compte et qui se préoccupe
de son devenir.
Les derniers plans où l’on voit l’enfant derrière la vitre de la voiture pouvaient représenter quelque chose d’extrêmement mélancolique et triste, ce que je ne voulais pas. On avait plus d’une heure de rushes du dernier regard de Pablo et j’ai littéralement ‘épluché’ ces plans, à priori mélancoliques, pour trouver ceux où le personnage de l’enfant ne projette pas une image triste. C’était très important que cette dernière vision de lui montre quelqu’un qui repart vers sa vie avec un regard nouveau. Il n’est plus seul. Pour moi c’est donc loin d’être triste.
Vous ne jugez pas vos personnages, comme celui de la mère. On sent que le personnage est construit de telle manière que l’on n’a pas envie de l’accabler, il n’y a rien de manichéen.
Je ne suis absolument pas dans le jugement de mes personnages.
J’adorerais faire un film sur cette femme, sur ce qu’elle
a vécu en fermant cette porte d’hôtel. Elle
vit, elle survit, elle fait comme elle peut, au mieux. Elle
n’arrive pas à être la mère qu’elle
voudrait être, mais elle essaye. Même l’enfant
n’est pas dans le jugement : il est agacé car
elle est prévisible, il la connaît par cœur,
il sait qu’elle va traîner dans le bar toute la
nuit, mais il ne la juge pas non plus, car il l’aime.
Quels sont vos projets ?
J’ai deux scénarios en écriture dont un
en France, et l’autre dans les grands espaces, l’Ouest
américain. C’est une obsession, je sais !
Propos recueillis par A.D.
Paris, août 2008
Voir
aussi : LibéLabo
Vidéo : Projection privée
avec Kim Massee. Pour «Libération», la
réalisatrice
réagit face à ses propres images.
http://www.dailymotion.com/video/k2oTTEYsJVW3KmOWWW
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